L’Institut des Relations Internationales du Cameroun : formation diplomatique à l’africaine

Le Tatam à l’entrée des salles de cours (Source : Archive de l’IHEID)

Démarche multinationale, impliquant le Cameroun, la Suisse et la Dotation Carnegie parmi d’autres, l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) s’ouvre en 1971. Le premier institut de hautes études internationales de l’Afrique sub-saharien, l’IRIC est destiné à former des centaines de jeunes diplomates de divers pays de l’Afrique. Il prend le relais du cours de la Dotation Carnegie qui, depuis 1960, assurait la formation d’une trentaine de jeunes cadres diplomatiques par an à Genève et à New York. La Dotation Carnegie avait aussi commencé à animer, depuis 1966, une stage annuelle de formation à l’intention de fonctionnaires consulaires et de chancellerie au Cameroun durant trois mois. Institut permanent, de recherche ainsi que d’hautes études, la création de l’IRIC a franchi un palier dans le développement et la décolonisation de la diplomatie africaine. En analysant l’histoire de son inauguration, ce blog étudie comment ce tournant vers l’Afrique visait à incuber une véritable formation diplomatique à l’Africaine, toute en assurant son adhérence aux normes internationales.

L’enseignement

Le mode d’enseignement choisit démontre comment les outils pédagogiques développés en Europe étaient mis en pratique. Un mois avant la première rentrée en 1972, le directeur Adamou Ndam Njoya a écrit aux professeurs que l’IRIC suivrait : « le système de séminaires dont l’avantage est de permettre aux étudiants de faire des travaux de recherche qui devront être présentés et discutés en classe. […] Cette méthode de travail devra créer un climat de collaboration et de concertation suivie ».  Il continuait en leur disant que cette méthode leur permettrait de mettre l’accent « au niveau de chaque matière sur les aspects et les particularités que présente l’Afrique – ceci afin d’arriver à dégager et approfondir les questions africaines, une méthode pour leur approche et sortir des généralités qui président actuellement aux études africaines ». Ndam Njoya avait lui-même été formé à l’IIAP de Paris, mais avant d’assumer le poste de directeur de l’IRIC a suivi une période de rattachement à l’IUHEI à Genève, où ce système d’enseignement par séminaire dominait. En plus Gabriel Jürg, le directeur d’études à l’IRIC, était suisse. Il paraît alors que la pédagogie visée en première lieu a été identique à celle de l’IUHEI, alors une approche européenne adoptée pour conduire à une africanisation du programme.

La quantité de rapports, les voyages et meetings nombreux, et la contribution de presque la moitié des finances pour les premières années de l’IRIC montrent l’importance de l’appui de la Suisse et de la Dotation Carnegie, cependant il est clair que cet appui devait rester strictement en arrière-plan pour privilégier une direction africaine. Un rapport du professeur suisse Deitrich Kappeler en 1971 est direct sur ce point : « Le caractère africain de l’IRIC ne permettra pas que la majorité de son corps enseignant soit d’origine non-Africaine ». Ce caractère africain heurtait à l’impératif d’assurer une qualité d’éducation comparable à celle des universités de l’Europe et l’Amérique. Il fallait assurer les cours malgré le fait qu’il y avait peu de spécialistes en Afrique pour le faire, et stocker la bibliothèque surtout avec des livres et revues venues de l’occident. Cela revient au problème central de la coopération technique internationale : comment faciliter un transfert de pouvoir ainsi qu’un transfert de matériel ou de savoir ? En 1974, lors d’une séminaire prestigieuse sur l’organisation internationale tenue à l’IRIC, le Cameroon Tribune a raconté l’intervention du professeur américain Willard Johnson qui a relevé ce problème ainsi : « Les postes de responsabilité, dans la hiérarchie de l'entreprise coloniale, étaient détenus par les Blancs […] Par manque de personnel autochtone compétent, la nationalisation, quand elle était décidée, ne se suivait d'aucun transfert effectif de pouvoir de décision […] il faut mettre l'accent sur la formation des cadres; ne pas se contenter de la nomination, à seule fin de calmer la pression sociale, d'Africains à des postes de prestige, d'où leur échappe tout pouvoir effectif ».

Il parait qu’au sujet de cette question de formation de cadres, le travail de la Dotation Carnegie dans le domaine de formation depuis 1960 a porté ses fruits. Les voyages à travers l’Afrique de John Goormaghtigh et son collègue à la Dotation Carnegie Dietrich Kappeler leur permettait dans chaque pays de rendre visite aux anciens boursiers, maintenant en poste aux ministères des affaires étrangères de leurs pays. Malgré les « rivalités institutionnelles et personnelles, jalousies et intrigues et politiques […] aggravées quand la démarche est internationale » lamentées par Goormaghtigh, ces anciens boursiers pouvaient prêter leur soutien à l’IRIC en assurant l’envoi de nouveaux recrutés pour les stages de formation.

Le locale

Le caractère africain de l’IRIC était aussi reflété dans ses bâtiments. Lors de leur « ouverture solennelle » en 1973 le ministre des affaires étrangères Vincent Efon parlait de la vocation de l’IRIC de donner une « physionomie nouvelle aux relations internationales ». La Presse du Cameroun décrivait « Un village africain – un saré – alliant les styles traditionnel et moderne, sis sur une colline […] ; de coquets logements en forme de « boukarous » abritant chacun six studios individuels et deux ensembles de bâtiments dont l’un comprend trois grandes salles de cours, une bibliothèque et un centre de documentation, tandis que l’autre abrite le pavillon administratif. Le tout harmonieusement intégré dans une végétation luxuriante ».

Pavillons de logement Boukarous (Source : Archive de l’IHEID)

Quant au directeur Adamou Ndam Njoya, son discours a encore insisté sur l’importance du fait africain, inscrit dans la géographie de son nouvel institut : « Pour réaliser un tel ensemble, ayant une si noble destination : le rapprochement des hommes, le site ne pouvait être mieux indiqué que celui qu'offre cette colline qui, hier encore, n'était comme tant d'autres collines qui font le charme et la beauté de Yaoundé que le simple relais du tam-tam porteur de message et qui désormais sera le centre de rayonnement d'idées de pensées, du développement d'une certaine éthique de la vie internationale » .

Un caractère africain ou universaliste ?

La façon dont l’IRIC a été créé, son corps d’enseignants et étudiants recrutés, ses bâtiments réalisés, et son ouverture soigneusement chorégraphiée dévoile une sensibilité générale aux enjeux politiques liés à l’africanisation, à la coopération internationale, et à la décolonisation. Cette sensibilité est exprimée à plusieurs échelles géographiques, de la salle de cours au campus universitaire, voire à l’internationale. Pour terminer, revenons au discours de Ndam Njoya en 1973, qui termine en évoquant ces échelles, en souhaitant que l’IRIC devienne : « chaque jour plus africain que camerounais ; plus universaliste qu'africain car visant à résorber les contradictions qui persistent dans la Communauté internationale et sont autant d'obstacle à la paix du monde ».

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